L’Histoire de Bertrand du Guesclin
- Association Héritages
- 10 mars
- 7 min de lecture
Par Jean Thomas
« N'oubliez pas ce que je vous ai répété mille fois, qu'en quelque pays que vous fassiez la guerre, les gens d'église, les femmes, les enfants, et même le peuple, ne sont point vos ennemis ». Dernières paroles de Bertrand du Guesclin à ses hommes.
Enfance et ascension
Bertrand naît en l’an 1320 à Broons, de l’union de Robert II du Guesclin, seigneur de la Motte-Broons et de Jeanne de Malesmains. Fils aîné d’une famille de la petite noblesse bretonne, il ne semble apparemment pas destiné à la vie d’illustre guerrier qui sera la sienne. Le jeune garçon est particulièrement laid et au caractère difficile. Son physique est disgracieux et ses manières le sont tout autant. Parangon de laideur, il est frustre et de rudes façons. Bien qu’il soit l’aîné de la famille, cet enfant fait le désespoir de ses parents qui lui refusent toute formation à la chevalerie.
Pourtant, les signes d’une âme vaillante et valeureuse sont manifestes. Chateaubriand l’évoque parfaitement dans Le Génie du Christianisme : « Du Guesclin encore enfant s’amusait, dans les avenues du château de son père, à représenter des sièges et des combats avec des petits paysans de son âge. On le voyait courir dans les bois, lutter contre les vents, sauter de larges fossés, escalader les ormes et les chênes, et déjà montrer dans les landes de la Bretagne le héros qui devait sauver la France. »
Le jeune Bertrand ne peut résister à l’appel du combat. Il n’a que faire des conditions imposées par sa famille et se moque bien de son apparence peu désireuse. Le 4 juin 1337 à l’âge de dix-sept ans, il participe illégalement à un tournoi dans lequel il fait ses preuves avec talent. Son visage couvert par une armure empruntée, il triomphe d’une douzaine de chevaliers et gagne le respect de son père qu’il se refuse alors d’affronter. Ce jour-là, il est véritablement initié à la vie de baroudeur qu’il a tant souhaitée. Il peut maintenant s’en aller par monts et par vaux pour braver les périls et aventures.

Premiers faits d’armes et contextualisation
Il s’illustre d’abord durant la guerre de succession en Bretagne, théâtre de la guerre entre français et anglais (1341 - 1364) opposant Jean de Montfort, allié aux Anglais à Charles de Blois, soutenu par le Roi de France, son oncle Philippe VI de Valois. Son premier fait d’armes authentique survient lors du siège de Rennes (1356-1357) durant lequel il se distingue face aux troupes du Duc de Lancastre, cousin du Roi d’Angleterre Edouard III. Il sera adoubé par le chevalier Alacres de Marès au château de Montmuran et entame sa bienheureuse épopée comme capitaine de Pontorson et du Mont-Saint-Michel sous une devise habilement choisie : « Le courage donne ce que la beauté refuse ».

A cette époque, la France se trouve en grande difficulté. Les défaites se succèdent depuis celle de Crécy (1346) et le Roi Jean II, dit Le Bon, est capturé le 19 septembre 1356 à Poitiers. Son fils, le jeune dauphin Charles, futur Charles V est confronté à de graves troubles politiques. Les dissensions politiques engendrent un climat de guerre civile dont la révolte menée par le prévôt des marchands Etienne Marcel (1356-1358), allié à Charles le Mauvais, en sera le triste symbole. En 1360, après une terrible offensive anglaise, le traité de Brétigny apporte à la France une paix douloureuse. Si le Roi Jean revient en France, de nombreux territoires passent sous domination anglaise et le tribut payé est difficile à supporter. Lorsque Charles V succède à son père en 1364, il hérite d’un royaume à la situation catastrophique. Pour remettre la France à son rang, il doit rétablir l’autorité royale en mettant fin à aux troubles politiques internes et en chassant hors du Royaume la présence parasitaire anglaise. C’est dans ce contexte que Charles choisit sagement Bertrand du Guesclin comme pilier d’une armée aux grandes responsabilités.
Du Guesclin, soldat du Roi
Le 16 mai 1364, du Guesclin assume avec grande réussite cette mission en apportant à son roi une victoire décisive. A Cocherel, il défait les troupes de Charles II de Navarre, permettant d'asseoir l’autorité du Roi de France, sacré à Reims trois jours plus tard. Du Guesclin repart ensuite en Bretagne pour soutenir Charles de Blois qui lutte contre Jean III de Montfort. A Auray (septembre 1364) lors de la dernière bataille d'une guerre de succession qui dure depuis bientôt vingt-ans, Charles est défait et du Guesclin est fait prisonnier.
Charles V le fait par la suite libérer en lui demandant en échange de le débarrasser des Grandes Compagnies, ces troupes de mercenaires qui saignaient alors le Royaume. Pour mener à bien cette mission, le Grand Aigle d’Occident conduit une grande partie de ces compagnies hors de France, en Espagne, pour soutenir Henri de Trastamare face au roi de Castille Pierre le Cruel soutenu par les Anglais. Durant cette aventure espagnole, du Guesclin est fait prisonnier à Naveja le 3 avril 1367 par le Prince Edward de Woodstock, fils du roi d’Angleterre. Du Guesclin, la fleur et l’honneur de la chevalerie, étant prisonnier du prince Noir, égala la magnanimité de Porus entre les mains d’Alexandre. Le prince l’ayant rendu maître de sa rançon, Bertrand la porta à une somme excessive.
« Où prendrez-vous tout cet or ? dit le héros anglais, étonné. Chez mes amis, répartit le fier connétable : il n’y a pas de fileresse en France qui ne filât sa quenouille pour me tirer de vos mains. (…. ) La reine d’Angleterre, touchée par les vertus de Du Guesclin, fut la première à donner une grosse somme pour hâter la liberté du plus redoutable ennemi de sa patrie. « Ah ! madame ! s’écria le chevalier breton en se jetant à ses pieds, j’avais cru jusqu’ici estre le plus laid homme de France, mais je commence à n’avoir pas si mauvaise opinion de moi, puisque les dames me font de tels présents. » (Le Génie du Christianisme - Chateaubriand)
A son retour à Paris en 1370 il est fait connétable de France par Charles V.
Lorsque le roi lui fit part de sa décision de le nommer connétable de France : « Messire Bertrand s’excusa très grandement et sagement, disant qu’il n’en était pas digne, qu’il était un pauvre chevalier et un petit bachelier au regard des grands seigneurs et vaillants hommes de France, bien que la fortune l’eût un peu avancé. » « Il est bien vrai que je suis un pauvre homme et de basse origine. Et l’office de la connétablie est si grand et si noble qu’il convient, pour celui qui veut bien le remplir, exercer et rendre utile, de commander bien fort, et plus sur les grands que sur les petits. Et voici messeigneurs vos frères, vos neveux et vos cousins qui auront charge d’hommes d’armes dans les armées et chevauchées. Comment oserais-je commander sur eux ? » Alors le roi répondit : « Messire Bertrand, messire Bertrand, ne vous excusez point par cette fois, je n’ai frère, cousin, ni neveu, ni comte, ni baron en mon royaume qui ne vous obéisse; et si quelqu’un voulait faire le contraire, il m’irriterait tellement qu’il s’en apercevrait; aussi acceptez la charge avec joie, je vous en prie. »
Pour lui faire plus d’honneur, le Roi le fit même asseoir près de lui à sa table, et lui donna tous les témoignages d’amitié qu’il put, et avec la charge il lui donna plusieurs beaux cadeaux, ainsi que de grandes terres et revenus, en héritage pour lui-même et pour ses descendants. Chronique de J.Froissart ; t.VIII, p.45-46
Il s’en suivra de nombreuses et victorieuses campagnes contre les troupes anglaises de Normandie, de Guyenne, de Saintonge et du Poitou. Victoire après victoire, le Grand Aigle d’Occident efface petit à petit les conséquences du traité de Brétigny en repoussant les Anglais à peu près dans les limites du début de la guerre de Cent Ans. Jusqu’à sa mort, il fera preuve d’une loyauté sans faille envers Charles le Sage préférant toujours l’intérêt de la France, si bien que lorsque que Charles V fait prononcer par le Parlement de Paris en 1378 la réunion de la Bretagne à la France, alors qu’un grand nombre de seigneurs bretons comptent s’allier aux Anglais qui soutiennent le duc Jean IV, Du Guesclin reste à la tête de l’armée chargée de les combattre et d’annexer la Bretagne à la France.
Honorant jusqu’à la fin sa charge de connétable de France, il meurt le 13 juillet 1380 pendant la prise d’un repaire de brigands à Châteauneuf-de-Randon. Le Roi ordonne que son corps soit porté à Saint-Denis pour être inhumé à côté du tombeau qu’il s'est fait préparer et qu’il rejoindra peu de temps après, le 16 septembre 1380.
Pour aller plus loin
« Ballade sur la mort de Bertrand du Guesclin » Ballade d’Eustache Deschamps publiée par Gaston Raynaud dans les Mélanges de philologie romane dédiés à Carl Wahlund.
« Plourez, plourez, plourez, tous d’un accord,
Français, Bretons et tous ceux de Normandie,
Tous Angevins, plourez aussi la mort
Du bon Bertrand, fleur de chevalrie,
Qui de France la connétablerie
A par sonner loyalement gouvernée :
En bon repos soit son âme posée !
Hélas ! gens d’armes, qui vous dourra confort
Contre Anglais pleins d’orgueil et d’envie ?
Perdu avez votre bon réconfort,
Et le peuple qui tant aimait sa vie !
Pieça ne fut mort d’homme tant haïe;
De maintes gens sera moult regrettée,
En bon repos soit son âme posée !
Priez à Dieu de coeur piteux et fort
Qu’à Bertrand point sa glorieuse vie,
Qui tant a fait d’armes par son effort,
En le mettant avec sa compagnie,
Car de bon coeur et de chière hardie
A despendu la noble renommée !
En bon repos soit son âme posée ! »
Les faits d'armes de Bertrand du Guesclin en vidéo
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