La Bataille de Roncevaux
- Association Héritages
- 6 mars
- 5 min de lecture
Par Jean Thomas, Paul Frisch et Charles Laurioz
Charles Ier, Roi des Francs
Sacré roi des Francs en 768, Charles Ier est le deuxième roi de la dynastie carolingienne. Il poursuit dès son arrivée sur le trône l’expansion du royaume. Son frère Carloman Ier meurt subitement dans son palais en 771. Cela profite à Charlemagne, qui s’empare de ses terres dès le lendemain. Il réunifie ainsi l’héritage de son père Pépin le Bref. Dès 769, Charles avait déjà maté les révoltes du duc d’Aquitaine, puis de la Gascogne, affermissant son pouvoir. Il profite en 771 d’une stabilité remarquable qui lui permet de repousser la menace barbare le plus loin possible du cœur du royaume, tout comme le firent les Mérovingiens lorsqu’ils étaient sur le trône.

Charles consacre donc les premières décennies de son règne à étendre son royaume. A l’avènement de l’empire en l’an 800, il obtient le nom mythique de « Charlemagne » ou de « Carolus Magnus ». La Saxe et la Lombardie sont conquises, renforçant toujours davantage la domination royale en Occident. L’idée d’un Occident chrétien anime d’ailleurs la politique de Charles tout au long de son règne. Il impose la religion chrétienne à tous les peuples conquis et affirme les principes de l’Église dans son royaume. Ainsi, voyant les troubles auxquels est confronté le pouvoir musulman dans la péninsule ibérique comme bénéfiques à la chrétienté, il saisit l’opportunité offerte par les mutins musulmans pour entrer en campagne.
Mise en contexte des troubles en Al-Andalus
En 756, Abd al-Rahman Ier crée l'Émirat de Cordoue en Al-Andalus, territoire sous domination musulmane dans la péninsule ibérique. Ce changement de régime provoque une forte instabilité dans la région, puisqu’il rompt de facto avec l’unité du califat qui a pour objectif de rassembler tous les musulmans sous la même autorité. Cette décision amène de nombreuses tensions. Certains, fidèles au califat, n'acceptent pas la scission qui s'opère tandis que d'autres, par cette prise de pouvoir, perdent un rôle politique de premier plan. Par conséquent, une révolte gagne l’ensemble de la vallée de l’Èbre contre l’autorité du nouvel émir. Le gouverneur de la région de Gérone et de Barcelone, Soulayman Ben al- Arabi, s'attache les services d’un chef arabe, Al-Husayn Ben Yahya al-Ansari, qui s’empare de la ville de Saragosse. Les mutins profitent de cet acte de révolte pour négocier avec le roi des Francs une alliance bénéfique aux deux partis dans la région. Charles voit toute l'opportunité de la situation. En effet, Pampelune fait alors techniquement partie de la Gascogne, vassale de Charles. Cependant, la ville est sous contrôle musulman. Il espère récupérer ces terres par son intervention militaire. Charles annonce également, par son implication dans le conflit, vouloir défendre les chrétiens qu’il soupçonne opprimés dans la région.
La campagne militaire et la bataille
Le roi arrive en 778 en Espagne avec deux armées qui, après avoir pris respectivement Pampelune et Gérone, puis Barcelone, se rejoignent devant Saragosse. Si la campagne semble prendre une tournure favorable pour le roi des Francs, la suite des événements en décide autrement. Husayn se retourne contre Soulayman et empêche les Francs d’entrer à Saragosse. L’armée n’étant pas préparée à organiser un siège de la ville, voit la situation se compliquer grandement. Soulayman est alors fait prisonnier par Charles, qui considère ce retournement d’alliance comme une trahison. Il retourne ensuite à Pampelune et décide de démanteler les fortifications de la ville par peur que les habitants, déterminés à s’émanciper de toute domination étrangère (qu’elle soit musulmane ou chrétienne), ne se retournent contre lui. Charles décide finalement de battre en retraite et de retraverser la barrière des Pyrénées. Lors de cette manœuvre, l’arrière-garde franque est une première fois mise à mal. Les fils de Soulayman parviennent à libérer leur père ainsi que d’autres otages.

Cette retraite à travers les Pyrénées représente cependant un terrain idéal pour des embuscades. Plusieurs théories accompagnent les interrogations et les faits historiques de la bataille. D’abord, précisons que Roncevaux n’est pas à proprement parler une bataille, mais davantage une embuscade. Quel que soit l’adversaire que les Francs rencontrent, l’arrière-garde est assurément prise de court et complètement désorganisée, incapable de réagir à la violence du choc. En effet, l’ennemi profite du relief favorable à une attaque surprise et ralentit les potentiels renforts.
Ce qui diffère selon les avis historiques, c’est davantage l’ennemi auquel l’armée franque est confrontée. Pour certains, ce sont les Basques, peut-être aidés de Navarrais et de troupes arabes, qui laissent passer le gros de l’armée afin de prendre en embuscade l’arrière-garde. Cette dernière comprend en pratique le train logistique dans lequel se trouvent traditionnellement l’équipement de l’armée, les prisonniers, les otages, les livres ainsi que les richesses récupérées au cours de la campagne. D’autres parlent plutôt d’un règlement de compte dont les fils de Soulayman seraient à l’origine. Dans ce cas, l’affrontement entre musulmans et chrétiens traditionnellement évoqué serait vérifié, bien que là encore les Basques auraient contribué à la destruction de l’arrière-garde franque.
Quelle que soit la version, on sait qu’il y a bien eu un accrochage entre Sarrasins et Francs à cette période et dans la région, mais pas forcément à Roncevaux. Ce jour-là, la cour carolingienne perd de nombreux personnages notables, proches de Charles, notamment le sénéchal Eggihard, le comte Anselme et le chevalier Roland.
La chanson de Roland
Si la bataille de Roncevaux, en dépit de l’échec terrible qu’elle constitue, demeure présente dans les grandes lignes du récit national, c’est en raison de son importance symbolique et littéraire. La défaite du 15 août 778 sert ainsi de matière à la Chanson de Roland, une chanson de geste de la fin du XIe siècle appartenant au « Cycle carolingien ». Ce genre littéraire, caractérisé par des vers assonancés et des divisions en laisses, participe à la construction de l’identité culturelle et littéraire de la France, notamment en influençant les représentations de la chevalerie.
La Chanson de Roland raconte les exploits de Roland, neveu du roi Charles, livrant bataille contre les Sarrasins du roi Marsile. Entre réalité historique et légende, la merveilleuse épopée retrace les actes de bravoure de la chevalerie française. Le récit met en avant de nombreux thèmes propres à l’univers chevaleresque dont Roland et ses fidèles compagnons se font l’incarnation. C’est ainsi que l’honneur, la loyauté envers le roi, le devoir patriotique ou encore la quête du sacré rythment les affrontements entre un camp du bien et celui du mal.
Ainsi, la vertu affronte le vice, les chevaliers chrétiens se dressent contre les païens, la fidélité et la bravoure de Roland s’opposent à la traîtrise et à la perfidie de Ganelon. Au fil de ce récit tragique, Roland et sa fidèle épée Durandal, Olivier et Hauteclaire ou encore l’archevêque Turpin deviennent les symboles d’un héroïsme chrétien et du sacrifice, acceptant le martyr sur le champ de bataille contre les ennemis de la chrétienté.
Enfin, la Chanson de Roland magnifie la figure du chevalier, qui n’est pas « une création de la nature mais bien un travail d’art ; de cet art qui a pour matière l’être humain plutôt que la toile ou le marbre » (C.S. Lewis), et dont les représentations furent nombreuses.
Pour aller plus loin
La chanson de Roland en détails
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