La Sagrada Familia
- Association Héritages
- 22 avr.
- 6 min de lecture
Par Paul Frisch
La Sagrada Familia émerveille le monde. Elle fait parler d’elle. Est-elle belle ? surprenante ? sans âme ? difforme ? trop moderne ? Quoi qu’il en soit, elle est bien la dernière grande église en construction en Occident. Il nous faut réaliser la chance que nous avons : par ses dimensions, le chantier est digne des grandes œuvres du Moyen-Age. Elle est l’un des derniers joyaux de notre civilisation, et contient bien des caractéristiques du génie européen. Penchons-nous sur son histoire.
Les débuts de la construction
Un projet banal
Le premier architecte, Francisco del Villar, avait pour objectif de construire à l’emplacement de la Sagrada Familia une église paroissiale de style néo-gothique qui devait être un temple dédié à la Sainte Famille. L’Espagne de l’époque était encore très croyante et attachée aux valeurs traditionnelles. Il fallait donc répondre à l’afflux de croyants, proportionnel à l’extension de la ville qui prit une nouvelle envergure à l’échelle européenne dès la fin du XIXème siècle. Dès le début, l’église est financée uniquement par des dons, ce qui explique sa si longue construction. Quoi qu’il en soit, la première pierre fut posée dès le 19 mars 1882. C’est le début de 150 ans de travaux.
Antonio Gaudi prend ses fonctions
Après la démission du premier architecte, Gaudi est appelé à le remplacer. Très vite, il modifie les plans et crée une œuvre qui embrasse les caractéristiques du modernisme catalan. Dans le même temps, il construit successivement, pour des clients privés, des monuments qui feront bientôt la renommée de Barcelone. La ville se crée un style, la Sagrada Familia en sera l’apogée, tout comme elle le fut pour le talent et l’ambition de Gaudi.

Le projet d’une vie
Dès sa prise de fonction, Gaudi savait qu’il ne verrait jamais la fin des travaux. L’architecte, très croyant, souhaitait honorer Dieu en construisant une merveille qui resterait dans les mémoires. Lorsqu’on le questionnait sur le temps que prendraient les travaux, Gaudi aimait à répondre : « mon client a le temps ». Il se met alors dans l’esprit des grands bâtisseurs du XIIème siècle : ce projet sera l’œuvre d’une vie, et il en laissera l’idée aux générations suivantes. A partir de 1915, Gaudi se dévoue entièrement à la construction de l’édifice. Il investit personnellement pour développer sa fameuse façade de la Nativité, qu’il souhaite finir avant sa mort, afin de donner un exemple concret de ce que sera l’œuvre terminée. Gaudi loge également sur place pour réduire au maximum ses frais, et dépenser son argent dans les travaux. Mais en 1926, il meurt des suites d’un accident de tramway. Seules l’abside, la crypte et l’une des quatre tours de la façade de la Nativité sont achevées. Le travail à fournir demeure colossal. Cependant, ses plans et ses maquettes qui éclaircissent son projet immense ne laissent pas le chantier dans l’inconnu.

La suite des travaux
Un enchainement tumultueux d’évènements
Les années qui suivent la mort de Gaudi ne sont guère productives. Seule la façade de la Nativité est terminée en 1936. De plus, la guerre civile espagnole, cette déchirure absolue, ce traumatisme béant, immobilise complètement le chantier. La Catalogne, soumise par la victoire de Francisco Franco et des troupes nationalistes, agonise, jusqu’à être privée de sa langue régionale. Le chantier, représentation du modernisme catalan qui se distingue de l’architecture traditionnelle espagnole, ne reprend pas immédiatement. Les architectes se succèdent. Les travaux ne reprennent qu’en 1952. En 1954, c’est la façade de la Passion qui est débutée. Le chantier dure.
Le grand élan depuis les années 2010
Les années 2010 sont le début d’un grand élan pour la Sagrada Familia. En effet, la nef est consacrée par le Pape Benoit XVI le 7 novembre 2010. Elle devient enfin, après 130 ans, une église ouverte au culte. Le tourisme devient alors une source primordiale pour la continuité de la construction, qui prend une nouvelle envergure. L’élévation s’accélère. La tour de la Vierge Marie est achevée en 2021, celles des quatre Evangélistes en 2023. L’année prochaine, en 2026, la tour de Jésus, la plus haute de l’édifice, sera achevée. Elle mesurera alors 172,5 mètres, devenant la tour d’église la plus haute du monde ; ce sera légèrement moins que la colline de Montjuic qui surplombe Barcelone car, selon Gaudi, « l’œuvre de l’Homme ne peut dépasser en taille l’œuvre de Dieu ».

Une basilique qui regorge de détails et de prouesses
La basilique est une prouesse architecturale. D’abord, et c’est une innovation remarquable, les piliers de la Sagrada Familia sont inclinés, contrairement à ceux des constructions traditionnelles.
Leur inclinaison permet de répartir la lourde charge des tours que supporte l’église, et donne par la même occasion une impression esthétique exceptionnelle : lorsque l’on se trouve dans la nef, on se croit sous les hauts arbres d’une forêt, les piliers étant semblables à des troncs, octroyant alors une certaine harmonie entre l’architecture et la nature. Malgré les préceptes gothiques de la basilique comme le plan en croix latine, les nombreuses nefs, ou encore les grandes percées de lumière qui nous permettent de nous retrouver dans un élément familier, les caractéristiques uniques de la Sagrada Familia ont permis d’élever encore davantage la hauteur de la voute. Dans cette église, tout est un multiple de 7,5 (la signification de ce multiple a été perdu dans l’incendie des plans de Gaudi lors de la guerre civile). La distance entre les piliers est donc de 7,5 mètres, la hauteur des nefs latérales est de 15 et 30 mètres, la hauteur de la nef est de 45 mètres, ce qui en fait l’une des trois plus hautes du monde. La croisée du transept atteint 60 mètres, tandis que le cœur, que la Tour de la Vierge domine, atteindra 75 mètres.
Enfin, la longueur de la basilique atteint 90 mètres. Ces dimensions exceptionnelles donnent un sentiment de grandeur et d’élévation divine à la cathédrale, ce qui est amplifié par les couleurs des vitraux qui réchauffent l’intérieur de l’église, et lui donne, selon le temps et les saisons, une coloration bien particulière, à l’image de la Sainte-Chapelle de Paris. Aussi, Gaudi, qui aimait les chants religieux et notamment le grégorien, avait imaginé créer des tribunes pouvant accueillir jusqu’à 1500 choristes de toutes parts de la basilique, afin de donner un sentiment de sacralité absolu aux cultes. Ainsi, l’architecte a étudié durant de nombreux mois l’acoustique, afin d’offrir à son chef d’œuvre un son parfait. Lors de consécration de la Sagrada Familia, 750 choristes étaient présents pour honorer la venue du Pape. Bientôt, deux orges supplémentaires seront installées afin de parfaire l’installation musicale de la basilique. Nous pourrions enfin évoquer la volonté d’Antonio Gaudi de marquer de références Bibliques les façades de la Sagrada Familia. La façade de la Nativité est par exemple un amas de sculptures magnifiques. Des paniers de fruit ont été installés à l’extérieur afin de représenter la Jérusalem céleste. En ce qui concerne la façade de la Passion, de style cubiste (en hommage aux artistes catalan, et notamment à Picasso), vivement critiquée, beaucoup expliquent que ce choix sombre, sobre et assez triste a été fait non pour être agréable à l’œil, mais pour représenter par des formes rudes la Passion du Christ.

La fin des travaux
Outre la fameuse tour de Jésus qui sera inaugurée en 2026, la Sagrada Familia n’a pas terminé sa grande construction. En effet, il reste encore une façade entière à ériger, l’entrée principale appelée Façade de la Gloire, ainsi que ses quatre tours. De nombreuses questions se posent quant au style qui sera choisi pour élaborer l’entrée de ce chef d’œuvre. Certains parlent de fresques de céramique, mais rien n’est encore décidé. Aussi, d’autres questions seront à trancher, notamment la couleur des vitraux qui l’orneront. La fin des travaux est aujourd’hui estimée à 2033. Enfin, bien sûr, de grands débats sont ouverts, car dans le projet d’Antonio Gaudi, un grand escalier reliant une place avait été imaginé à l’entrée de la basilique. Ce projet est aujourd’hui compromis en raison des difficultés à exproprier les habitants qui logent dans un immeuble en face de la basilique et qui borde la route. La Sagrada Familia n’est donc pas prête d’être terminée.

Conclusion
La Sagrada Familia regorge donc de prouesses : elle est unique en son genre. Sa nef est aussi impressionnante que sa hauteur. Que l’on aime ou pas son style, cette basilique est grandiose et dénote avec un art contemporain qui ne s’attache plus à faire du beau. Ici, les techniques sont novatrices, mais l’objectif de Gaudi fut évidemment de créer une merveille digne de Dieu. La Sagrada Familia représente donc un espoir pour notre civilisation : nous sommes encore capables de construire des lieux somptueux, tout en innovant, comme nous l’avons toujours fait, afin d’atteindre des sommets toujours plus inimaginables.
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