L'impressionnisme
- Association Héritages
- 19 mars
- 5 min de lecture
Par Paul Frisch
Lorsque Camille Mauclair énonce en 1904 dans son ouvrage L’impressionnisme, son histoire, son esthétique, ses maîtres que « l’impressionnisme a donné vie à son temps », la caractéristique principale de ce mouvement est évoquée : celle de la représentation. La représentation est centrale pour ces peintres qui « étaient déjà, d’instinct des indépendants » à l’état d’élèves, selon Théodore Duret, et qui ont gardé cette qualité. Ainsi, nous pouvons nous demander quels sont les éléments significatifs de l’impressionnisme, et comment ce mouvement a marqué son temps, en le poussant au progrès, et au changement.
Pour comprendre l’impressionnisme, il faut d’abord évoquer son rapport à la peinture. Si ce style pictural s’attarde sur la manière particulière de représenter, bien loin des règles traditionnelles, c’est parce qu’il apporte une volonté de mouvement.
Edgar Degas, dans son œuvre L’orchestre de l’Opéra de 1870, parvient à l’intégrer dans un tableau qui n’est pas encore tout à fait impressionniste, mais qui en intègre certains éléments comme on peut le voir à travers les danseuses, sur scène en arrière-plan, dont on ressent le mouvement en les observant.


Aussi, ce qui caractérise ce style, c’est la peinture rapide, par petites touches, que ces artistes expérimentent depuis quelques années. On peut y voir les prémices dans le tableau de Monet Marine, effet de nuit de 1866 qui s’est inspiré de l’œuvre Navire Norvégien sortant du port de Honfleur (1865) de son ami Johan Jongkind qui l’avait aidé à travailler son œil.

Avec ces couches superposées de petites touches, on peut évoquer la « matérialité » des toiles impressionnistes qui, selon Meyer Schapiro, mène à un :
« rapport physique à l’œuvre que l’on ne ressent véritablement que lorsqu’on la tient dans les mains ».
L’objectif des impressionnistes est bien de ressentir un moment en l’imprimant par la peinture, ce qui donnera lors de la fameuse exposition d’avril 1874, ce mot d’impressionnisme à Louis Leroy, inspiré d’Impression, soleil levant de Monet (1872).

Enfin, le tableau de Claude Monet La rue Montorgueil, de 1878, décrit très bien cette volonté
de projeter un moment précis. On ressent la ferveur et le patriotisme de la fête nationale par le mouvement qu’émet cette toile, quelques années seulement après la terrible défaite face à la Prusse.

L’impressionnisme s’inspire aussi de Charles Baudelaire dans Le peintre de la vie moderne (1863) qui pousse l’artiste à « capter l’âme de la modernité ». C’est ce que font ces peintres qui décident de représenter la société qui leur est contemporaine. D’abord, les impressionnistes peignent l’espace social alors encore très hiérarchisé. C’est le cas de Berthe Morisot qui dépeint la femme à travers sa douceur, en utilisant des tons clairs, notamment dans ses toiles Le psyché de 1876 ou encore Femme à sa toilette (1875-1880). L’espace social extérieur est aussi évoqué. C’est le cas de Renoir dans La loge (1874) qui représente un homme et une femme à l’opéra, un espace mondain aux codes strictes.
Camille Pissarro dans l’Avenue de l’Opéra (1877) peint quant à lui ce nouvel espace extérieur qu’est le Paris Haussmannien qui fait dès lors la renommée de la capitale française à travers le monde, et qui inspire beaucoup les impressionnistes français par la lumière et l’espace qu’apporte ces percements de rues des grands boulevards.
La modernité, c’est aussi l’aspect industriel qui est un phénomène qui s’étend à la fin du XIXème siècle à toute l’Europe. On peut penser à la série de tableaux peints par Monet sur La Gare Saint-Lazare en 1877 qui reflète cet intérêt pour les évolutions de la Révolution Industrielle. On y retrouve tout l’environnement animé d’une gare : la vapeur, la monumentalité de l’édifice métallique ou encore les locomotives.

Evoquons aussi le cœur de l’impressionnisme : le rapport du peintre à la nature. Le plein air est en effet, pour ces artistes, une source d’inspiration exceptionnelle, puisqu’ils peuvent désormais peindre directement sur place et imprimer ce qu’ils voient sur la toile en quelques instants. La peinture en plein air devient un moyen de capter la sensation d’un moment : un reflet du soleil sur l’eau, une vague agitée ou le vent sur les arbres. A ce propos, Cézanne disait de son ami : « Monet n’est qu’un œil, mais quel œil ! ».
Le Normand avait cette qualité d’être très réceptif aux couleurs, et la nature exaltait ses sens. C’est pourquoi tant de ses toiles représentent des coins de la campagne Française. Citons le tableau les Coquelicots (1873) de Monet qui est une magnifique représentation de cet esprit flâneur vanté par Baudelaire, et qui nous projette avec cette famille à la campagne, un doux après-midi de printemps. Nous pouvons également parler de l’importance de la Seine chez les impressionnistes, en particulier chez Monet. Il la représente à de très nombreuses reprises, notamment dans ses tableaux peints à Argenteuil (Le Pont d’Argenteuil, 1874).
Mais l’exemple le plus connu de la représentation de la nature par Claude Monet est bien évidemment sa série de près de 250 tableaux peints entre 1886 et 1926 sur les Nymphéas, à Giverny, dans sa maison normande entourée de fleurs et de toutes sortes de couleurs dont il s’inspire pour peindre. Les jeux de couleurs, ainsi que les reflets de l’eau animent ses journées. Dans une lettre de cet illustre peintre à Gustave Geffroy, Monet émet une auto- critique de ses toiles : « je sais seulement que je fais ce que je peux pour rendre ce que j’éprouve devant la nature. […] Je laisse apparaître bien des fautes pour fixer mes sensations ». Les Nymphéas ont marqué la peinture parce que chaque toile représente un moment précis, une impression unique. Il en offrit les panneaux monumentaux qu’il avait commencé à peindre bien des années plus tôt à la fin de la Première Guerre mondiale à l’Etat Français, par l’intermédiaire de son grand ami Georges Clemenceau. Ils sont aujourd’hui exposés au musée de l’Orangerie dans le jardin des Tuileries.

Enfin, l’impressionnisme fut une source d’inspiration pour bon nombre d’artistes. Dans la littérature d’abord. A travers son ouvrage l’Œuvre, paru en 1886 pour étoffer sa sublime série des Rougon-Macquart, Emile Zola évoque la vie de Claude Lantier, peintre, qui cherche à créer la pièce d’art qui lui permettra d’être enfin reconnu comme un grand. Il cherche éperdument à être accepté au Salon, quitte à mettre sa vie familiale de côté. Ce roman est un bel hommage aux peintres impressionnistes qui entouraient l’auteur et qui étaient ses amis. Il est aussi un échantillon de la difficulté, pour un artiste, de se faire, à cette époque, une place dans ce monde.
La musique est également touchée par l’influence de l’impressionnisme. Nous pouvons penser aux œuvres de Claude Debussy, Clair de Lune ou encore Reflets dans l’eau qui reprennent l’atmosphère spéciale des œuvres impressionnistes. Malgré les dissonances volontaires, on se retrouve pris dans des sensations spéciales, inexplorées, qui font la richesse de l’œuvre de Debussy. Là encore, on peut ressentir, selon les sons, diverses émotions. Enfin, l’impressionnisme a inspiré d’autres mouvements picturaux, comme le pointillisme ou encore le symbolisme.
Le mot de la fin
Les impressionnistes ont marqué leur temps non pas seulement par la beauté de leurs toiles, mais aussi parce qu’ils ont représenté, à la manière de Zola dans la littérature, un moment où la France était le cœur de la culture mondiale. La modernité émerveillait le monde : c’était le temps des grandes expositions universelles. Paris inspirait. La campagne française prédominait, et l’on ne voyait pas encore des barres d’immeubles à Argenteuil, mais des champs et la Seine. L’impressionnisme retrace l’insouciance de l’esprit français, quelques années après le désastre de la Débâcle, et quelques années avant la terrible Première Guerre mondiale qui changea l’Europe à tout jamais. L’impressionnisme est peut être le dernier mouvement artistique qui a su représenter, à sa manière, la beauté du vieux continent. C’est en cela que l’on admire, avec un brin de nostalgie, ces splendides peintures.
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