La Bataille de Rocroi
- Association Héritages
- 11 mars
- 7 min de lecture
Par Paul Frisch
Le Contexte
Les rivalités entre la Maison de France et les Habsbourg
La rivalité entre les Capétiens et les Habsbourg marque fondamentalement l’histoire de l’Europe. Celle-ci s’est renforcée au XVIème siècle lorsque François Ier en 1515 en France, puis Charles Quint en 1516 en Espagne, accèdent respectivement au trône. Les premières tensions apparaissent entre les deux souverains lors de l’élection au titre d’Empereur du Saint-Empire Romain Germanique en 1520 : pour la première fois, deux souverains étrangers s’affrontent. C’est finalement Charles Quint qui succède à Maximilien Ier. Le Saint-Empire demeure aux mains des Habsbourg qui renforcent leur présence sur toutes les frontières du Royaume de France. Dès lors, les monarques Valois - notamment François Ier ainsi qu’Henri II - puis les Bourbons vont orienter leur politique européenne vers un seul et même objectif : affaiblir les Habsbourg.
Nonobstant, le XVIème siècle est marqué par la réforme protestante. L’Empereur est occupé à régler les tensions entre protestants et catholiques dans son Empire ce qui mène à un semblant de concorde lors de la paix d’Augsbourg en 1555. Après les abdications de Charles Quint en 1555 et 1556, puis sa mort en 1558, c’est au tour du Royaume d’entrer dans les guerres de religions qui s’éternisent entre 1562 et 1598. Le XVIIème siècle débute sur un apaisement des tensions intérieures. Les Bourbon et les Habsbourg s’apprêtent à réaffirmer leurs velléités.
Les tensions s’exacerbent
Le 23 mai 1618, des nobles tchèques de sensibilité protestante défenestrent des représentants de l’Empereur à Prague, lequel voit cela comme un affront impardonnable. L’ombre de la guerre civile réapparaît. Précisons que malgré la paix d’Augsbourg de 1555, les tensions entre catholiques et protestants s’étaient accrues au fil du temps. Dans certaines villes, plusieurs rejets de l’entente religieuse qui s’était instaurée sont dénombrés. Alors, l’Empereur décide de lever une armée pour défendre les intérêts catholiques face aux intimidations protestantes.
Toutefois, le Saint-Empire Romain Germanique n’a pas les traits absolutistes de la Monarchie française. L’Empire repose sur un système féodal, et l’Empereur détient des pouvoirs limités : il est moins riche que le Roi de France, est soumis à des droits juridiques et surtout, n’a pas d’armée propre. Il se cherche donc des alliés qu’il trouve principalement dans le duché de Bavière. Par ailleurs, le Prince du Palatinat, Frédéric V, qui est l’un des sept princes électeurs, déteste les Habsbourg. Il est calviniste et décide de lever une armée contre l’Empereur. C’est donc dans un premier temps une guerre assez centralisée en Europe entre les puissances germaniques.
La Guerre de Trente Ans - 1618-1648
Dans un premier temps, la révolte bohémienne (1618-1625) qui avait promis la couronne de Bohème au prince protestant du Palatinat est matée. Le Roi du Danemark entre alors en guerre contre les forces catholiques pour soutenir les protestants dès 1625. Christian IV échoue cependant à défendre les intérêts de la Réforme et se retire en 1629 du conflit. En 1630, c’est au tour de la Suède et du Roi Gustave II Adolphe d’entrer en guerre contre l’Empereur. Le Roi est soutenu financièrement par la France qui cherche à affaiblir l’influence habsbourgeoise dans le monde germanique. Alors qu’il remporte plusieurs batailles importantes, il meurt à Lützen en 1632, ce qui affaiblit le parti protestant. Le Royaume de France, porté par Richelieu et Louis XIII, entre directement en guerre contre l’Empereur en 1635. La guerre politique prend le dessus sur la guerre religieuse alors même que les deux monarchies représentent des puissances catholiques.
Les Français y voient plusieurs opportunités. D’abord, c’est un moyen de desserrer l’étau qui entourait la France depuis Charles Quint, mais c’est aussi le moyen de chercher à étendre les zones d’influence de la monarchie, voire ses territoires. Ensuite, la France désire s’affirmer une fois de plus comme une grande puissance européenne, capable de mener pratiquement seule des campagnes militaires. Enfin, Richelieu et le Roi Louis XIII y voient l’occasion de renforcer leur légitimité au sein même du Royaume alors que l’absolutisme est en plein essor.
A partir de 1635, la France qui justifie son intervention comme une réponse à l'occupation par les Espagnols de plusieurs villes stratégiques, mène donc une guerre intense contre les Habsbourg. Les armées françaises, fortes de 120 000 hommes, interviennent sur plusieurs fronts : aux Pays-Bas espagnols, en Lorraine et en Alsace, en Italie du Nord et dans les Pyrénées. En 1635, la France remporte une victoire importante à la bataille des Avins, mais les Espagnols reçoivent des renforts et parviennent à maintenir leurs positions.
L’année suivante, la situation se complique pour la France, avec des revers en Italie et en Alsace, et la prise de Corbie par les Espagnols en 1636 menace Paris. Toutefois, en octobre 1636, une victoire suédoise contre les Impériaux à Wittstock soulage la pression sur la France. En 1637-1638, bien que marquées par un statu quo relatif, les forces françaises sécurisent des positions stratégiques, comme Brisach, et réussissent à repousser les Espagnols en Flandre. À partir de 1639, la France prend l’initiative avec la reconquête de plusieurs places fortes en Flandre et en Artois, et les victoires successives permettent de renforcer sa position. En 1641-1642, la France gagne encore du terrain, notamment en Italie et en Allemagne, et aide la Catalogne à se révolter contre l’Espagne, bien que la France essuie une défaite à Tarragone. La guerre s’intensifie, alors qu’en 1642, après la mort de Richelieu et de Louis XIII, la régence d’Anne d’Autriche, assistée de Mazarin, prend le relais.
La grande Bataille de Rocroi
Le Contexte Espagnol
La Régence, tout juste établie, devient dès lors la proie des velléités guerrières étrangères qui comptent bien tester la solidité de la nouvelle situation politique du Royaume de France. C’est au Nord du territoire français que la première menace se dévoile. Des troupes espagnoles sont décidées à marcher jusqu’à la capitale. En effet, depuis le mariage de Maximilien Ier et Marie de Bourgogne (1477), les territoires de l'actuel Benelux étaient passés dans la famille des Habsbourg et Charles Quint, leur petit-fils, associa cet héritage à la couronne d’Espagne. Depuis lors, l'Espagne possédait une base au Nord de la France, rendant l’invasion bien plus commode que par les Pyrénées car à moins de 200 kilomètres de Paris.

Dans ces territoires, une armée commandée par le gouverneur Francisco de Melo est déployée contre les rebelles des Provinces-Unies et contre la France. En 1643, les redoutables tercios - ces bataillons espagnols associant piquiers et mousquetaires - envahissent la France pour mettre le siège devant la ville forte de Rocroi. Verrouillant la haute vallée de l’Oise, voie d’accès naturelle au bassin parisien, cette ville est une place hautement stratégique pour l’accomplissement des desseins de Francisco de Melo. Pour la couronne française, cette menace ne peut être ignorée. En conséquence, c’est l’armée de Picardie qui porte la responsabilité de bouter les étrangers hors du territoire français. A sa tête, le général Louis II de Bourbon-Condé, duc d’Enghien, cousin du Roy est sollicité par le cardinal Mazarin.
Le combat
Admirateur des conceptions militaires du roi de Suède Gustave II Adolphe, le jeune chef militaire de 21 ans met en œuvre sa cavalerie commandée par Jean de Gassion pour suivre les mouvements espagnols et marche vers Rocroi, qu’il atteint le 17 mai. Le lendemain, il apprend que les Espagnols attendent près de 4 000 hommes en renfort. Déjà en infériorité numérique, les Français n’ont plus d’autre choix que d’engager la bataille. C’est ainsi que 17 000 fantassins et 7000 cavaliers français font face à 18 000 fantassins et 8 000 cavaliers espagnols.
Les troupes sont déployées au sud-est de la ville, dans une zone boisée, de manière classique avec l’infanterie au centre et la cavalerie sur les ailes. Les tercios espagnols, fidèles à leur réputation, sont terriblement efficaces. La cavalerie alsacienne leur ayant ouvert la route en mettant en déroute une partie de la cavalerie française, les bataillons d’infanterie espagnols sont maintenant en mesure de mettre à mal le centre et l’aile gauche des troupes françaises. Si de Melo possède l’avantage, le duc d’Enghien décide de mener lui-même la contre-attaque de cavalerie qu’il veut décisive. Les cavaliers français chargent l’aile gauche espagnole et, soutenue par Gassion, cette manœuvre soulage le reste des troupes et inverse le rapport de force. Les tercios sont alors encerclés mais leur formation résiste par trois fois aux charges de la cavalerie et au feu de l’artillerie. Finalement leur commandant, le comte de Fontaines, est tué et ses hommes succombent. Le carnage fait près de 6 000 tués et autant de prisonniers.

Les Conséquences
Terriblement meurtrière, cette bataille, qui coûta 4000 âmes vaillantes au duc d’Enghien, fut néanmoins d’une portée considérable. Premièrement, elle mit fin à la suprématie du fantassin espagnol sur les champs de bataille européens au profit de la cavalerie française. Ensuite, elle réinstalla la France parmi les grandes puissances militaires européennes et lui procura une position favorable qui fera d’elle l’une des grandes bénéficiaires du traité de Munster en 1648. Finalement, elle permit à la fois d’affaiblir la puissance des Habsbourg d’Espagne et d’Autriche mais aussi de donner au règne de Louis XIV un élan victorieux préparant une époque d’ambitieuses entreprises militaires.
Fort d’une victoire prestigieuse, le jeune duc d’Enghien, qui deviendra le Grand Condé, continua à mettre son talent militaire au service de la couronne jusqu’à devenir un élément décisif pour l'issue de la guerre de Trente Ans. Par la suite, il défia le pouvoir royal durant l’épisode de la Fronde en prenant la tête de la Fronde des Princes. Déchu de ses titres et condamné à mort, il se réfugia aux Pays-Bas espagnols. Il combattit pour la monarchie espagnole jusqu’en 1659 avant d’obtenir le pardon royal à Aix-en-Provence en 1660.
Le Traité de Westphalie quant à lui, révolution dans les relations diplomatiques entre les puissances européennes, mit fin en 1648 à la guerre de Trente Ans. Cette guerre, considérée comme proportionnellement la plus meurtrière de l’histoire de l’Europe (entre 15 et 20% de la population européenne meurt pendant le conflit), permit ainsi à la France d’affirmer sa puissance et d’affaiblir les pouvoirs de l’Empereur du Saint-Empire Romain Germanique. Aussi, la France obtint des territoires sur la rive gauche du Rhin, notamment en Alsace et gagna en influence sur le duché de Lorraine, ce qui la mettra dans les meilleures dispositions sous le règne de Louis XV pour récupérer le duché. Enfin, le traité des Pyrénées de 1659 qui mit fin à la guerre franco-espagnole débutée en 1635 apporta à la France le Roussillon, ainsi que des territoires en Artois et en Flandre.
Pour aller plus loin
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