L'amour courtois
- Association Héritages

- 7 mars
- 4 min de lecture
Par Paul Frisch et Jean Thomas
“Tu fus le plus doux des hommes qui jamais dîna au milieu des nobles dames ; et tu fus le plus terrible des chevaliers pour tes ennemis qui jamais mirent leur lance au repos.” Sir Thomas Mallory, Le Morte D’Arthur (1485).
Un amour féodal
L’amour courtois, mélange de noblesse des sentiments et d’esprit chevaleresque, d’honneur et de sincérité, de persévérance et de passion, incarne fondamentalement l’Occident médiéval. Cette époque, marquée par une accélération du développement des sociétés européennes chrétiennes et de son système féodal est également sujette à une effusion d’idées artistiques. L’amour courtois émerge ainsi au XIIème siècle chez les troubadours occitans, sortes de poètes et de musiciens de cour, se développant très rapidement dans les Cours d’Aquitaine - sous l’influence d’Aliénor d’Aquitaine - de Provence, de Champagne et de Bourgogne, puis rapidement à travers tout le continent. Animé par un certain “jeu d’amour”, l’amour courtois sublime la femme. L’homme privilégie avant tout l’amour pur, fondé sur un sentiment développé et puissant.
Le chevalier n’est plus seulement guerrier, il existe dès lors une chevalerie d’amour. André le Chapelain, qui faisait probablement partie de la Cour de Champagne, écrivit dans la deuxième partie du XIIème siècle un ouvrage, De amore, dans lequel il traite justement de l’amour courtois. Il liste ainsi, à travers plusieurs articles, les conditions à réunir pour développer une relation de ce type. Le quatorzième point, où il est inscrit que “le succès trop facile ôte bientôt son charme à l’amour : les obstacles lui donnent un prix”, décrit exactement le jeu auquel devait s’adonner le noble chevalier pour conquérir le cœur de sa bien-aimée. La persévérance et la détermination sont d’essentielles qualités. La noblesse véritable est alors celle des mœurs et des manières, bien plus que la naissance. L’amour courtois devient une opportunité unique d'ascension sociale, à condition d’en maîtriser finement tout l’art.
Dans une société où l’amour n’est point important pour unifier deux êtres par le mariage, cette idée d’amour courtois, en dehors de la vie conjugale, anime les cœurs. Cet amour est avant tout sujet de liberté, hors de tout devoir du mariage. Le modèle courtois est bien sûr orienté sur le modèle chrétien. Si la courtoisie a d’abord pour but de plaire à Dieu par la perfection de son comportement, puisqu’au Moyen-Âge tout est question de salut de l’âme, on ne peut pas plaire à sa dame ou à son chevalier si l’on ne sait pas résister à ce qui est mal aux yeux de Dieu. La question de la sexualité est alors secondaire et si, dans certaines œuvres littéraires, les deux amants ne peuvent y résister, l’amour courtois demeure dans la majorité des cas un amour platonique où seule la noblesse des sentiments prime. D’ailleurs, la Vierge Marie est la Dame ultime pour le chevalier, et le Christ est le Chevalier parfait. Cet amour sublimé est de ce fait parfaitement accepté par l'Église.
Lorsque l'amour courtois inspire l'art
En littérature
Des poésies des troubadours aux romans chevaleresques, l'amour courtois est avant tout un thème littéraire influençant profondément la littérature médiévale, donnant lieu à une grande diversité d'œuvres qui en exulte l'idéal. Un exemple emblématique de cet idéal se trouve dans le roman de Chrétien de Troyes Lancelot ou le Chevalier de la Charrette .
Dans ce roman courtois écrit à la fin du XIIe siècle, le chevalier Lancelot est épris de la reine Guenièvre, l'épouse du roi Arthur. Bien que leur amour soit sincère et puissant, il reste contenu par des codes stricts et se manifeste dans des actions héroïques et des sacrifices, notamment lorsque Lancelot, pour sauver Guenièvre, accepte l'humiliation de monter dans la charrette d’infamie, réservée aux criminels. Cette passion platonique, empreinte de respect et de bravoure, illustre parfaitement l'idéal de l'amour courtois tel qu'il est dépeint dans la littérature médiévale. Cet amour pur et désintéressé transcende les désirs personnels et les épreuves physiques, illustrant un idéal où la quête amoureuse devient une aventure spirituelle et morale, ancrée dans les valeurs de l'époque médiévale.
En peinture
Au fil des siècles depuis son invention, l’amour courtois a continuellement inspiré les artistes.

Cette enluminure du début du XIVème siècle met en exergue la simplicité de l’amour qui anime les deux personnages représentés. (Les enluminures étaient généralement utilisées pour décorer à la main des manuscrits.). On les perçoit détendus et heureux, loin des contraintes de comportements de la société médiévale. Provenant du Codex Manesse, l’un des plus grands recueils de poésie lyrique de la langue allemande, cette enluminure évoque la noblesse des actes qui animait les âmes s’aimant à l’époque de l’âge de gloire de l’amour courtois.

Edmund Leighton. Dieu te protège. 1900
Les six siècles qui séparent cette enluminure de ces tableaux montrent que l’amour courtois demeure un sujet passionnant pour les artistes.
Edmund Leighton, spécialisé dans la représentation de scènes médiévales, peint ainsi ces deux tableaux au début du XXème siècle, en 1900 et 1901. On y perçoit la proximité de la dame et de son chevalier, lequel part, dans le tableau Dieu te protège, remplir son devoir de chevalier à la guerre, soutenu et accompagné par sa dame jusqu’à la sortie de la ville. On ne perçoit pas d’inquiétude, mais de l'apaisement et de l’assurance sur le visage des deux personnages.

De même, le second tableau, L’adoubement, met implicitement en avant le dévouement du chevalier pour le Roi (lequel est remplacé dans cette scène par la Reine), mais aussi pour sa Dame. C’est donc une représentation totale de la vie du chevalier, dévoué à deux causes uniques : celle de l’amour noble, et celle du dévouement à la couronne. Le tableau montre principalement la Dame qui, comme au Moyen-âge, prend une place de grande importance dans cette relation d’amour. C’est elle qui détient le pouvoir, et c’est au chevalier de se plier à ses règles du jeu. Si c’est bien le chevalier qui est adoubé, il ne serait rien, dans cette scène, sans sa dame.
Ainsi, le modèle de l’amour courtois contribua à façonner un monde occidental en pleine effervescence dans le domaine de l’art. La beauté de cet amour pur et sincère inspira de nombreux artistes au cours des siècles, à des époques où la vision des relations entre l’homme et la femme n’était d’ailleurs plus la même qu’à cette période idéalisée du Moyen-âge.







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