Le comte de Guiche, entre séduction et jeux de pouvoirs à la cour de Monsieur, frère de Louis XIV
- Association Héritages
- 22 avr.
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Par Cyprien Gaulion

Le comte de Guiche, fils du maréchal de Gramont, s’illustre lors de différentes campagnes militaires comme la bataille des Dunes, durant la guerre de Dévolution, ou encore lors du passage du Rhin. Au tournant des années 1660, l’homme de guerre figure parmi les plus en vue de la cour, devenu favori de Monsieur avant de courtiser sa femme, Henriette d’Angleterre. Ambitieux, le comte de Guiche se distingue par ses prétentions et insolences auprès du duc d’Orléans, dont il n’hésite pas à défier l’autorité, assuré de sa condition militaire. Mais c’est sans compter sur les liens qui unissent Louis XIV à son jeune frère : l’opiniâtreté du comte de Guiche, malgré sa naissance, ne peut rivaliser avec la grandeur du sang de France.
Un homme de condition éminente
Fils de la maison de Gramont
Armand de Gramont, comte de Guiche, nait en 1637. Il est le fils d’Antoine III de Gramont, comte puis duc de Gramont, maréchal de France, et de Françoise-Marguerite de Chivré, nièce du cardinal de Richelieu. Le comte de Guiche épouse le 23 janvier 1658 Marguerite-Louise de Béthune-Sully. Ami intime de Guiche, Roger de Rabutin, comte de Bussy, le décrit dans ses Mémoires comme « beau, bien fait et plein d’esprit, mais gascon jusque dans l’excès ». C’est cet esprit gascon, loué à l’armée mais déprécié en société, qui va lui valoir de nombreuses désillusions tout au long de sa vie.
Un courtisan de la maison d’Orléans
Homme de guerre intrépide, le comte de Guiche est nommé « mestre de camp du régiment des gardes françaises ». C’est dans ce contexte que le jeune soldat rencontre Philippe, encore duc d’Anjou, duquel il se rapproche rapidement :
« Philippe de France, duc d’Anjou, avait en ce temps-là une fort grande amitié pour le comte de Guiche, qui était à Calais à cause du coup de mousquet qu’il avait eu à la main à la sortie de Dunkerque » le 7 juin 1658, la semaine précédant la bataille des Dunes face aux armées espagnoles du Grand Condé.
Grâce à cette amitié, Guiche intègre le cercle proche de Madame. Vanté pour son habileté au combat, il entreprend de la courtiser : « [Il] s’était imaginé follement que Henriette d’Angleterre, duchesse d’Orléans, serait trop heureuse d’être aimée de lui, et, pour cet effet, il résolut de lui témoigner de l’amour. »
La chute de l’irrévérencieux séducteur
Rapprochement avec Madame
Le duc d’Orléans se sent trahi par sa femme mais aussi par son ancien favori, qui se montre impertinent à son égard comme le relève la comtesse de La Fayette : « [Guiche] eut avec Monsieur un éclaircissement fort audacieux, et rompît avec lui, comme s’il eût été son égal : cela éclata publiquement, et le comte de Guiche se retira de la cour. »
Resté néanmoins à Paris, le comte continue ses entrevues secrètes avec Madame aux dépens du duc d’Orléans : « Monsieur revint ; tout ce qu’on put faire, fut de cacher le comte de Guiche dans une cheminée, où il demeura longtemps sans pouvoir sortir. »
Face à ces imprudences, Guiche est écarté de la cour, mais peut compter sur sa charge pour atténuer sa peine :
« Le 29 avril [1662], le comte de Guiche partit de la cour pour aller à Nancy commander conjointement dans la Lorraine avec Pradel. […] Il est vrai que comme il était agréablement dans l’esprit du roi, Sa Majesté adoucit la peine, et au lieu d’exiler tout crûment le comte de Guiche, on le fit lieutenant général et on l’envoya en Lorraine. […] Pour la cour, elle sut d’abord que cet emploi était un exil. »
Guiche défie l’autorité royale
Le roi a déjà fait preuve de tolérance envers Guiche lors de sa maladie de 1658. Le comte s’était précipité auprès de l’héritier présomptif – Philippe –, ce qui avait fortement déplu à Louis XIV. Mais sa cause avait été plaidée par Mazarin :
« L’amitié que le cardinal avait pour le maréchal de Gramont […], fit qu’on ménagea un peu le comte de Guiche, et qu’au lieu de l’exiler par une lettre de cachet, comme on aurait fait sans son père, on se contenta de lui faire donner avis que les eaux d’Encausse étaient bonnes pour sa blessure. »
L’année suivante, Guiche adresse à sa maîtresse, la comtesse d’Olonne, une lettre « dans laquelle il parlait mal de la reine et du duc d’Orléans » ; et continue de provoquer ce dernier en sa maison, bien qu’interdit d’y paraître. Lorsqu’il rentre à Saint-Cloud le 7 juillet 1667, alerté par une fausse couche de sa femme, Monsieur apprend que le comte a profité de son absence pour rendre visite à Madame et la courtiser : « Ce galant a été à Saint-Cloud pendant que Monsieur était à l’armée, de quoi il a fait grand bruit à son arrivée. » C’en est assez, le courtisan est envoyé à Bayonne.
Le dernier acte du courtisan
Madame, qui s’était attiré le regard du roi après son mariage avec Monsieur, est désormais éclipsée au profit de sa demoiselle d’honneur, Louise de La Vallière à qui Louis XIV rend visite. Le comte de Guiche et Olympe Mancini, comtesse de Soissons, élaborent un plan pour faire tomber la jeune favorite. Ils fomentent de prévenir la reine des infidélités de son mari. En 1665 éclate l’affaire de la lettre espagnole, traduite par Guiche. Le marquis de Vardes, amant de la comtesse de Soissons, est mis au courant de l’affaire. A la demande de Madame, apeurée par les conséquences, il est embastillé quelques jours ; puis exilé. Olympe Mancini fait alors pression sur la duchesse d’Orléans pour exiger le retour de son amant à la cour. Elle lui assure être en possession de lettres compromettantes sur sa liaison avec Guiche et menace de les révéler au roi. Mais le roi s’est également emparé de lettres dans lesquelles Madame s’engage avec son frère Charles II à attirer Monsieur à Dunkerque, avec la complicité du comte de Guiche :
« L’on dit que ces lettres ont été rendues au Roi, par lesquelles le comte [de Guiche] mandait à Madame : Votre timide beau-frère n’est qu’un fanfaron et un avare. Quand une fois vous serez dans Dunkerque, nous lui ferons faire, le bâton haut, tout ce que nous voudrons.” »
Sur ces paroles de Guiche, la décision est prise de l’exiler en Hollande. Implorant le pardon royal, le fils du maréchal-duc est autorisé à servir au champ de bataille. Celui qui avait fréquenté la cour, favori de Monsieur dès 1658, séducteur assidu de Madame, maintes fois renvoyé, effectue sa dernière campagne lors de la guerre de Hollande. Le comte de Guiche y trouve la mort le 29 novembre 1673, sans postérité ni avoir revu la cour.
Pour aller plus loin :
Références :
Cf. G. Tallemant, Les Historiettes de Tallemant des Réaux : mémoires pour servir à l’histoire du XVII ème siècle, éd. Monmerqué [et al.], Paris, Levavasseur, 1834, t. II, p. 340.
Cf. Mlle d’Aumale, Souvenirs sur Madame de Maintenon, éd. d’Haussonville et Hanotaux, Paris, Calmann-Lévy, 1902, t. I, p. 126.
R. de Bussy-Rabutin, Mémoires, éd. Lalanne, Paris, Charpentier, 1857, t. II, p. 127.
Ibid., t. II, p. 40.
Ibid., t. II, p. 76.
Ibid., t. II, p. 127.
Cf. E. Lurgo, Philippe d’Orléans : Monsieur, frère de Louis XIV, Paris, Perrin, 2018.
Mme de La Fayette, « Histoire de Madame Henriette d’Angleterre », dans Œuvres complètes de Madame de La Fayette, Paris, d’Hautel, 1812, t. V, p. 117.
Ibid., t. V, p. 141.
R. de Bussy-Rabutin, Mémoires, op. cit., t. II, pp. 127-128.
Ibid., t. II, pp. 77-78.
Ibid., t. II, Appendice I : p. 369.
T. de Saint-Maurice, Lettres sur la cour de Louis XIV (1667-1670), éd. J. Lemoine, Paris, Calmann-Lévy,1910, t. I : 19 juillet 1667.
O. d’Ormesson, Journal, éd. Chéruel, Paris, Imprimerie impériale, 1860, t. II, p. 331.
Ibid., t. II, p. 332.
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